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Radars : ces avocats qui courtisent les automobilistes

Radars : ces avocats qui courtisent les automobilistes

Dans un paysage routier où chaque infraction se paie cher, le droit automobile est devenu une spécialité juridique qui fait les beaux jours de ses défenseurs.

Il y a encore quelques années, ils étaient considérés comme les ratés du barreau. De piètres avocats vivotant bien péniblement. Désormais, ils font tout simplement envie. Goûtant une véritable revanche sur ces années difficiles, les avocats spécialistes du droit de l’automobile ont de quoi aujourd’hui être jalousés. Tout leur sourit. Côté médias, il ne se passe pas une semaine sans que l’on ne les voit sur les plateaux de télévision ou que l’on ne lise leurs dernières prouesses judiciaires dans les journaux. Côté portefeuille, il n’y a qu’à voir leur mine réjouie pour comprendre qu’ils ne consultent guère leur compte pour s’offrir le 4 × 4 dernier cri. Ils roulent sur l’or. Une période faste qui est la conséquence directe de la politique routière en France. Avec l’installation des radars, la création du permis à points, l’élaboration de nouvelles règles et de nouvelles sanctions, un contentieux de masse a soudain émergé. L’adéquation est simple : à mesure que les conducteurs se font flasher, sanctionner, retirer points et permis et tentent de s’y opposer, ces avocats voient leur situation croître et embellir. Le malheur des uns…

Tant et si bien que ce domaine de la route qui était boudé hier est aujourd’hui convoité. «Tout le monde s’autoproclame spécialiste du droit de la route», enrage Sébastien Dufour, l’un des quatre avocats parisiens dont le nom circule régulièrement dans la presse. Depuis quelque temps en effet, poussées par la crise et encouragées par cette matière lucrative, bien des robes noires se bombardent spécialistes des permis sur le Net. Dans cet univers où la sobriété et une cer­taine retenue sont de mise, nombre de leurs sites dénotent. Le graphisme est plus accrocheur qu’élégant, les phrases sont parfois racoleuses et les explications ont des allures de véritable réclame publicitaire. «Vous voulez récupérer votre permis : appelez maintenant !», peut-on lire tandis que d’autres dressent l’inventaire de leurs relaxes obtenues, des points récupérés, des permis sauvés et des excès de vitesse annulés. Véritable tableau de chasse exhibé pour attester de leur compétence. Et s’il fallait encore convaincre l’automobiliste de frapper à leurs portes, ces serviteurs du droit rendent consultables sur la Toile le moindre article, la moindre émission télé les concernant. Par le biais d’agences de communication, certains cabinets n’hésitent pas à démarcher les rédactions pour figurer en bonne place dans les carnets d’adresse des journalistes.

«Pompe à fric»

Cette concurrence effrénée a le don d’irriter ceux qui se disent avocats de la première heure dans ce domaine et qui, selon eux, se comptent sur les doigts de la main. Ils sont ainsi au moins quatre à avoir parié sur cette matière lorsque celle-ci avait tout d’une voie de garage. Quatre qui aujourd’hui s’opposent farouchement à «la pompe à fric» que sont pour eux les radars automatisés. Quatre qui cherchent sans relâche la faille du système pour le torpiller et qui sont la bête noire des tribunaux. Quatre aussi dont les propos ne sont pas toujours politiquement corrects. Extrait de leurs déclarations pleinement assumées : «Je roule moins vite que mes confrères mais du coup je m’endors au volant. Alors je téléphone en kit mains libres. C’est quand je ne téléphone pas que je suis dangereux.»«Nous devons lutter par tous les moyens contre les radars et cette organisation qui empêche l’automobi­liste de se défendre. Je revendique un droit à la résis­tance contre l’oppression.» Évidemment, au travers de leurs propos, pouvoirs publics et forces de l’ordre ne sont pas couverts d’éloges… Combattants acharnés, ces francs-tireurs qui se connaissent et se respectent ont fini par emporter quelques belles victoires devant les tribunaux, sauvant régulièrement la mise des conducteurs en récupérant leurs points et leurs permis.

Le plus ancien de ces mousquetaires de la route est Éric de Caumont, quinquagénaire radieux, volontiers bavard et littéralement intarissable quand il s’agit de parler de sa passion : le droit pénal de l’automobile. La vocation s’est imposée à lui quand il avait 16 ans. Ce fils de député se fait arrêter pour un excès de vitesse à moto. «C’était dans les Deux-Sèvres, en rase campagne à 7 h 45 du matin. Sans convocation, j’ai ensuite été condamné à 15 jours de suspension», se souvient-il encore. Vécu comme une profonde injustice, l’épisode scellera entre lui et sa conscience un véritable pacte de résistance à l’État. L’arrivée des radars ne fera que renforcer sa volonté de défendre les conducteurs verbalisés. «90 % d’entre eux sont des victimes», assure-t-il en confirmant que cette croisade pour protéger les automobilistes – «ses frères d’armes» – est devenue une affaire bien rentable. À cela s’ajoute la célébrité. Les émissions de télévision au cours desquelles il a officié durant plusieurs années au côté de Julien Courbet lui ont conféré une véritable aura. Considéré comme «le maître», Éric de Caumont qui a défriché seul le terrain durant des années, est donc aujourd’hui heureux, riche et célèbre.

Une concurrence forcenée

Mais l’avocat qui dit travailler «au moins 100 heures par semaine», se souvient aussi des débuts difficiles et des phrases assassines de ses confrères telles que : «t’as pas commencé que t’es déjà un raté !», ou encore : «Alors, tu fais toujours vroum !» Des remarques dures à encaisser pour le jeune avocat qui dévorant toute la littérature sur la voiture était imbattable sur le sujet mais qui a vécu un temps avec les aides de la Mairie de Paris.

Puis, Me Frank Samson est arrivé. Ce Breton à la mine sympathique est lui aussi un passionné. «J’ai toujours été attiré par cette matière. En CM2, on avait le choix à la récréation entre faire du football ou colorier les panneaux du Code de la route. Je restais à chaque fois assis avec mes crayons», dit-il. Une fois installé dans ses fonctions d’avocat, Frank Samson a vite compris l’intérêt de faire le tour des rédactions pour médiatiser ses affaires. Un plaisir qui lui est passé. Aujourd’hui, dit-il, il préfère rester à son cabinet et décortiquer le droit administratif pour y déceler la perle qui lui fera gagner des procès. Un travail dont il se délecte sous l’œil de son «Dieu», Napoléon, représenté par plusieurs figurines trônant sur les étagères de son bureau.

Pour continuer à faire parler de son cabinet, Me Samson en a depuis confié la mission au «Niçois», son associé depuis cinq ans, Jean-Baptiste Iosca. À charge pour ce dernier de courir les audiences et de mobiliser la presse sur «un bon coup». À 36 ans, ce fils d’avocat voit donc sa carrière décoller, roule en Maserati, mais veut rester serein et se défend d’être «un jeune loup», comme le décrivent certains. Apparaissant en tout cas comme le plus modéré de tous, il est presque le contraire de Me Sébastien Dufour, quatrième pionnier de 36 ans, au tempérament fougueux et emporté. «Parfois même un peu trop», d’après ceux qui le côtoient. Avec fierté et spontanéité, «cet hyperactif», comme il se décrit, évoque volontiers sa carrière. De ses débuts difficiles où il se déplaçait en R18 à aujourd’hui où il possède 4 × 4, voiture de sport Lotus et moto. «Mon chiffre d’affaires est équivalent à celui du meilleur cabinet d’une ville de province», dit-il.

Mais revers de la médaille de ces belles ascensions, ces quatre avocats qui affrontent une concurrence acharnée doivent aussi faire face, selon eux, à de fâcheuses dérives de la part de confrères. Vols et espionnage sont au rendez-vous. Les procédures sont plagiées, les collaborateurs débauchés, des avocats se faisant passer pour des clients les appellent en vue de leur soutirer leur savoir-faire… Sur le Net, le combat continue. Certains cabinets ont fait en sorte que les conducteurs atterrissent sur leur site quand ils tapent les noms d’un de ces quatre avocats ! «C’est du détournement de clientèle», s’offusque Me Dufour qui pour dénoncer ces méthodes s’est fendu d’une lettre diffusée sur la Toile, tout simplement intitulée «J’accuse !» Une initiative qui lui vaut d’être convoqué le 18 mai par le Conseil de l’ordre de Paris. Le ton monte chez les avocats.

Dans cette escalade à la notoriété sur fond de guerre commerciale, l’un d’eux a d’ailleurs été sanctionné. Il s’agit de Yannick Rio dont le nom a longtemps été associé au succès et à la réussite. Lui aussi a emporté de belles victoires devant les tribunaux et son nom continue de circuler dans les rédactions. Mais il fait l’objet aujourd’hui d’une procédure disciplinaire, le Conseil de l’ordre ayant demandé contre lui une suspension d’activités de plusieurs mois. Motif : un manquement à la prudence à l’égard de ses clients. «On me reproche de leur avoir dit de continuer à conduire malgré des procédures en cours et de leur garantir le succès de mes actions. Mais je maintiens ce que je dis», s’insurge-t-il, victime selon lui de la jalousie de confrères et de magistrats. «C’est la rançon de la gloire. Mes affaires marchent très bien et je fais des envieux. On veut me barrer la route, mais je ne baisserai pas pavillon», assure-t-il. En quelques années, le petit monde des avocats de l’automobile a changé du tout au tout. On se bat désormais pour y trouver sa place.

Le Figaro

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